lundi 5 décembre 2011

A la recherche d'une com pas com. Roman d'une histoire.

Sors de terre. Il se baisse pour ramasser le sachet en plastique englouti par la terre. Il regarde à travers la grille qui les séparent de la rue ; lui et le plastique. Soudain, il comprend pourquoi il y a tant de papiers, de petits bouts de carton, de plastiques au milieu des feuilles mortes. Le vent les amène du trottoir au pied de la bergerie.


Le sachet qu’il vient de collecter, aurait définitivement disparu après la prochaine grosse averse. Enseveli, happé, par la terre ; ligoté par les racines des bromes. Ce n’était donc pas les gens qui balançaient délibérément leurs petites ordures sur la pelouse. C’était le vent qui les soufflait là. Les Gens les jetaient simplement par terre, sur le bitume, en rentrant de l’école avec leurs enfants. Il s’agissait essentiellement d’emballages de goûters en tout genre. Venaient ensuite les jeux de hasard, les mouchoirs ; plus rares, des papiers griffonnés, ou des bouts de journaux déchirés.

On pouvait aussi trouver de loin en loin au pied de la haie de laurier palme taillée par les brebis, des canettes et des bouteilles de bière ; jamais de vin ou d’alcool fort, comme au jardin. C’était d’la bibine de petits jeunes, pas d’alcoolique. Ca faisait tout d’même désordre, alors il les ramassait ; ne serait ce que pour ne pas entendre l’éternelle complainte des bonnes gens du quartier sur le respect et la bonne éducation. S’il était dans le fond d’accord avec eux, il ne supportait pas pour autant les donneurs de leçon. C’est pour ça qu’il avait fui les jardins partagés ; trop de moral dans leur partage et leur nature. Ca l’dérangeait pas d’ramasser les papiers dans la terre. Ils faisaient partie de la rue.

Les bâtiments qui entouraient la bergerie étaient hauts, et on avait l’impression d’être dans un gouffre ou au creux d’une vallée encaissée. Des gens surveillaient les animaux de leur fenêtre, comme si c’était leur propre bétail ; qui sait, peut être est-ce-déjà le troupeau de tout le monde. Quelques brebis, quelques chèvres. On a l’impression qu’elles sont deux cent, vue d’ici. A chaque seconde, dans la rue, il y a quelques voitures et quelques ruminants, et dans la tête des gens, quelques pensées zootechniques dans le flux cérébral quotidien.

Nino arrive, capuche sur la tête, faussement à l’aise, mais tout de même assez pour en donner l’impression. Il passe la grille :

-Ouech, ça va ou quoi ?

-Bien, bien, et toi mon grand ?

Dans ses yeux, une acceptation parfaite du monde qui l’entoure, pas une excuse qui point sur le pourquoi de ceci ou de cela. Pas d’état d’âme, quoi, comme la plupart des jeunes mecs du quartier. S’il n’est pas tout à fait à l’aise, c’est qu’en venant ici, il fait un petit pas de coté. La bergerie bouscule la conception du quartier ; c’est un O.V.N.I qui s’est posé là, sur un espace vert abandonné.

On y entre par une grille rouge entre ouverte, identique à toute les autres grilles du coin. Les gens en passant ont des réactions assez éloquentes sur la monotonie de nos existences citadines. A la vue de la bergerie en bois à quelques mètre du trottoir, certains s’arrêtent interloqués, questionnés par la présence de ce bâtiment, ils aimeraient bien en savoir plus ; une affichette explique qu’ils sont invités à rejoindre le chantier de construction quelles que soient leurs compétences. D’autres après un bref coup d’œil en biais, semblent se persuader qu’elle n’existe pas, et elle finie par disparaître effectivement de leur esprit : il s’agit bien d’un choc. Les bêlements des brebis et les chevrotements des chèvres n’arrangent rien. On aurait pu écrire sur une banderole accrochée au grillage : « CECI N’EST PAS UNE BERGERIE » et tout le monde aurait été rassuré.

De la rue, on peut apercevoir le troupeau qui pâture pelouses et haies conventionnelles converties en prés de bocage. Les animaux transforment tout ; le paysage, les catégories de l’urbanisme, et même la sociologie du quartier. C’est un peuple d’éleveurs qui se dresse, qui cherche ses contours, qui se recompose, s’invente, se proclame : ce sont nos animaux. Oui, mais certains veulent les manger, tandis que d’autres les voient comme des animaux de compagnie. L’animal d’agrément ou l’animal nourricier ? Les deux, tant que l’animal nourricier est visible de tous.

(à suivre ...)

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