lundi 12 décembre 2011

A la recherche d'une com pas com. Roman d'une histoire. Shot n°2.

L’hiver s’est installé par à-coups. Les bêtes ne sortent plus que rarement ; en milieu d’après midi, lorsque le temps est sec. Elles sont ravies. Elles jouent pour se dégourdir les jambes. La laine des brebis est devenue volumineuse ; leur tonte est souvent évoquée par les passants. On passe en revue les différentes tâches et obligations qui font le lot quotidien des éleveurs. Les animaux sont maintenant là depuis six mois, mais leur présence a toujours quelque chose de surréaliste. Ce sentiment persiste. Alors on parle d’eux, on s’en rapproche par les souvenirs de mondes agricoles perdus, comme pour les faire entrer dans nos vies et notre présent. Notre bétail, c’est un ailleurs et un autrefois ; la campagne, le bled, et, le passé, la jeunesse. Tout ça, ici et maintenant. La bergerie se lève face au fatalisme ambiant : elle suggère que tout est possible.


Un bus s’arrête en face de la bergerie. Une femme accroche un sac rempli de pain dur à la grille. Des collégiens passent sur le trottoir et imitent les cris des brebis ; parfois l’une d’entre elles répond, peut être n’est ce qu’un hasard. Un étudiant en architecture attend le berger avec qui il a rendez vous. Les bêtes attendent l’heure de la distribution du grain, couchées sur la paille. Un scooter passe sur la chaussée, sur une roue. L’étudiant n’est pas le seul à venir visiter la bergerie ; elle a une force d’attraction ; elle dit quelque chose de l’époque. Elle n’est pas la campagne à la ville ; elle est une autre face de la ville, la face autonome. La bergerie n’existe pas ; elle résiste. Elle résiste face à la raison, face à la peur, face à la propagande organisée, elle résiste face aux accélérations forcées de la société du progrès.

La présence du troupeau au pied des immeubles est en passe de devenir un buzz, comme on dit. C’est spectaculaire, il y a de belles images à prendre. Elles entrent dans le flux quotidien de l’information et de la communication. Elles apparaissent, disparaissent. La bergerie reste. Elle ne pliera pas bagage ; Elle restera au-delà des images. Elle sera tout ce qu’il y a de plus normal. Elle sera là tant qu’il y aura des gens pour pousser la porte. Ce sont des corps qui soutiennent la bergerie.

L’architecte passe la grille. Il porte des baskets usées et un jean neuf. Son manteau en feutre bleu marine est coiffé d’un long foulard en lin enroulé autour de son coup. Il est mal rasé, mais a l’air d’un fils de bonne famille. Il entre, dit bonjour poliment, et attend le début de la visite. Le berger se saisit d’une planche et d’un bout de madrier. Un marteau dépasse de la poche de son pantalon :

- Une bête s’est blessée, il faut l’isoler des autres, je dois lui faire un box.

- Allez-y, y a pas de problème ; je peux attendre et puis on peut discuter en même temps.

- Vous devriez allez prendre un café au p’tit restaurant qui fait l’coin, c’est sympa.

Le ton avec lequel l’avait dit le gars d’la bergerie laissait entendre qu’il voulait être seul pour bricoler son truc. – « A tout à l’heure » – se dirent-t-ils. Et voilà l’étudiant parti au rad du coin.

Cinq ou six personnes étaient au comptoir, deux trois étaient assis dans la salle. La serveuse avait une cinquantaine d’année et une voix cassée ; elle était encore belle. Les trois quart des hommes présents avaient dû la connaitre plus jeune, et encore plus belle. Ils doivent continuer à la voir avec vingt ans de décalage. Ici, les frites sont « maison » et le foie de veau fait légion.

- Vous désirez jeune homme ?

- Un café allongé s’il vous plait madame. Il se sentait dévisagé par l’assemblée masculine ; il était étranger.

- Vz’êtes v’nu voir la bergerie ?

- Oui. Vous y êtes déjà allez madame ?

- Non, on n’a pas l’temps v’savez ... on sait qu’elle est là, c’est tout. Les gars viennent manger là d’temps en temps, on s’connait ; des gars gentils.


Des jeunes comme lui, les gens du bar en voyaient régulièrement passer la porte. Ils les repéraient comme les montagnards détectent les randonneurs de passage dans la vallée. A cette heure là, le café avait cessé de couler, on buvait froid : des demis ou des p’tits jaunes avec la p’tite carafe qui va bien avec. L’étudiant en archi sortit dehors fumer une cigarette ; entre deux barres d’immeubles, on apercevait la bergerie en bois. Sur le plateau, il y a encore quelques endroits où le regard peut transpercer le paysage.

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